Le rêve de celle qui n’aimait pas les chiffres

Cette nuit, alors qu’une lune ronde et pâle veille sur le sommeil des habitants de Ploemeur, j’ai jeté dans la mer noire, une bouteille  à la mer.

A l’intérieur du récipient, des feuilles enroulées, des pages, dont j’ai, comme une enfant, brûler les bords, afin de les faire ressembler à un vieux parchemin.

Ce que j’ai écrit ? Juste un rêve… celui d’une autre vie.

« J’ai trente et un ans ; de longues boucles blondes encadrent mon visage au regard doux. Les années n’ont pas réussi à me faire perdre les rondeurs de l’enfance. Je suis mariée depuis peu, sans enfant, et je passe la plupart de mon temps dans un bureau exigu, dont l’unique fenêtre donne sur un pan de mur gris où le soleil ne se reflète que quelques heures durant l’été.

Mon compagnon de ˝cellule˝ est un ordinateur blanc, compact, avec des tas de logiciels, dont pour la plupart, j’ignore les noms. Le second ornement de mon bureau est un lourd classeur, tellement emplis de papiers, qu’on se demande comment il peut encore fermer.

Je suis comptable, je passe mes journées avec les chiffres : les additionner, les soustraire, les saisir, les classer… je déteste les nombres… mais la vie est faite de hasards, parfois de choix et aujourd’hui, je compte.

Néanmoins, j’ai une passion ou, comme dirait mon époux, une boulimie ; j’aime les livres.

Je vais être sincère, (après tout combien y a-t-il de chance que ces feuillets soient lus), en réalité, les livres sont toute ma vie. Une pièce entière de la maison leur est dédiée. La bibliothèque en bois de chêne ne pouvant contenir plus de mes quelques trois cents ouvrages, mes nouvelles acquisitions jonchent le sol en des piles hétéroclites.

Ainsi Twilight et ses vampires côtoient l’infidèle Madame Bovary ; Stephen King et Jane Austen se partagent une place tandis que Musso et Levy se regardent de biais.

J’affectionne les livres comme des êtres vivants et l’ennui qui en résulte est que je trouve ma vie terne, d’un goût fade.

Je voudrais être l’héroïne d’un livre, vivre ma vie auprès des personnages de papiers. J’étudierais à Poudlard… combattre Voldemort me fait moins peur que les fins de mois.

Ou alors, je parcourerais les chemins de France, en compagnie de Rémi et Vitalis… écrire pour un magazine de mode, ne me déplairait pas, même si Miranda Priestly en est la directrice.

Sinon, je pourrais toujours me réfugier au royaume des Sept Couronnes et venir en aide à la famille Stark.

Tant de possibilités : faire oublier au séducteur Valmont la Présidente de Tourvel et me faire aimer de lui.

Si Roland De Gilead m’acceptait comme pistolero, je pourrais à ses côtés, trouver la Tour Sombre.

Je n’ai pas tellement envie de demander à Lestat de faire de moi sa compagne dans l’immortalité.

Je n’aurai pas le cran non plus de combattre un clown démoniaque, tueur d’enfants.

En revanche, quelle joie de pouvoir aller à un bal anglais avec Darcy et de converser avec Elisabeth Bennet.

Je suis prête à vivre l’esclavage et la guerre de Sécession dans l’espoir d’entrevoir le sourire de Reth Butler et le regard de Scarlett O’Hara.

Peut-être pourrais-je aider Frodon à se débarrasser de l’anneau ? Ou bien recueillir les orphelins Baudelaire ?

Mais ne préférerais-je pas une enquête policière en compagnie du brillantissime  Hercule Poirot ? Ensuite, j’irais prendre le thé chez Miss Marple.

Par contre, tenter de tuer les douze en compagnie de Peter et Amy, ça ne me dit trop rien ; la peur me tenaillerait.

De même, visiter le cimetière des livres oubliés, je ne saurais quel roman adopter.

Je me sens un peu comme Alice, les livres sont mon pays des merveilles, ou mon pays imaginaire comme dirait Peter Pan.

Si quelqu’un trouve cette bouteille, au milieu des flots ou posé sur le rivage tel un présent, si quelqu’un a lu ces quelques lignes de mon rêve…peut-être aurais-je eu la chance, pour cet inconnu, d’être un personnage de fiction.

bouteille-a-la-mer - dans texte

Ode Colin (http://lespagesdeode.cowblog.fr)

 

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